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INTERVIEW DE JEAN-PIERRE ALET

 

Jean-Pierre est un amateur...avec (je cite) "le jeu d'échecs noyé dans sa vie". C'est instructif de découvrir son cursus échiquéen...et c'est tout aussi instructif de lire sa passionnante analyse portant sur l''évolution des cadences de jeu. Une interview d'une richesse et d'une profondeur inouďes !

 

 

Francis DELBOE : peux-tu te présenter sur le plan échiquéen ?

 

Jean-Pierre ALET : une attirance dčs l’enfance, une longue attente, puis une progression trčs rapide bridée par un gâchis dans un club, puis arręt de quatre ans, puis reprise avec des résultats satisfaisants dans une ambiance favorable, enfin une mise au second plan. Un palmarčs qui satisferait beaucoup d’amateurs, mais avec une certaine frustration.

Avant : une longue attente J’ai appris ŕ 5 ans par mon pčre, et comme il était marin au long cours, je jouais trčs peu. Il est décédé alors que j’avais 12 ans. Vers 15 ans j’ai appris qu’il existait des clubs, des compétitions. Je me suis préparé seul avec le " Traité pratique " de Tarrasch. J’ai dű attendre l’âge de 17 ans et demi, en 1973, avant de pouvoir accéder au club de Tours, car situé dans un café. Ayant déjŕ travaillé seul, je me souviens que j’avais gagné mes premičres parties avec les joueurs du club.

Période N°1 : La progression en flčche, puis le dégoűt J’ai connu une progression trčs rapide, tôt bridée par un environnement de vexations, coups par derričre, manque de reconnaissance, intimidations, mais que je ne pouvais quitter en raison du manque de clubs. Avec trop d’acteurs plus axés sur les luttes d’influences que sur l’étude du jeu, la question de l’ordre des échiquiers dans l’équipe n’était pas proprement réglée. Une année le bureau avait décidé que le vainqueur du tournoi interne jouerait au premier, mais ensuite, cela fait, je me suis trouvé seul face aux pressions et remous causés par un autre joueur au classement nettement meilleur, et qui cultivait sa " popularité " avec application. Trop jeune et face ŕ des adultes de 15 ŕ 35 ans de plus, je n’ai pas tenu moralement, me résolvant ŕ m’effacer. Etant donné mon arrivée récente, c’était plus ou moins acceptable sur le fond, mais sűrement pas sur la forme. Le pire allait venir.

L’année suivante, suite ŕ des résultats remarquables, j’avais prévu arriver probablement en tęte au classement. J’ai demandé une réunion pour décider de l’ordre dans l’équipe avant la publication. Ma demande a été dénigrée, chacun comptant je pense tirer son épingle du jeu. La publication du classement a confirmé que j’étais en tęte, de peu (2080, 2070, 2030, classements élevés pour l’époque). A ma grande surprise, lors de la premičre rencontre de la saison, ŕ Saumur je crois, le président m’avait placé en 3čme, les joueurs étant placés dans l’ordre inverse. Je n’avais pas été consulté, et la feuille de match était communiquée ! Certes, un autre avait eu un résultat juste une place devant moi ŕ une occasion importante, mais tout avait été décidé par derričre, et l’ordre inverse 3-2-1 était injustifié de toute façon. La malhonnęteté m’est apparue trop grosse ; tantôt on prenait le Elo pour critčre, tantôt non, mais toujours ŕ mon détriment. Devant ce manque de respect inacceptable, j’ai exprimé que je ne voulais plus jouer en équipe et je ne suis męme plus paru au club.

La suite des événements en mon absence a été éloquente. Le président est partit fonder un autre club prčs de Tours, emmenant avec lui celui qu’il avait placé en premier. Quant ŕ l’autre, il a été exclu du club temporairement pour faute par le nouveau président. La saison suivante j’ai accepté de revenir en équipe, et cette saison lŕ j’ai fait le résultat alors inégalé de 5 sur 6 au premier échiquier. L’année suivante, le joueur qui avait été exclus temporairement est revenu et a repris son " gonflage " aprčs avoir remporté le championnat de ligue. A la suite d’une ultime vexation cette fois non imputable au président, j’ai définitivement tourné le dos en 1979. Bien qu’aujourd’hui ce club soit certainement trčs honorable et fréquentable, il me serait insupportable d’y retourner vu mes souvenirs. Il faut ajouter que, les membres du club " sortant " trop peu (tournois et autres), les manipulations sont plus aisées dans un milieu fermé, et que d’autres jeunes, parfois prometteurs, ont souffert de cette ambiance.

De cette période gâchée, mes principaux résultats : Vainqueur d’un Champion de Ligue en titre, et d’un autre Champion de Ligue récent, lors de ma premičre année de compétition en 1974. 11čme avec 4.5 / 7 lors de mon premier open international ŕ Rennes Noël 1974 Champion du Club de Tours en 1975, seul avec 6/7

6.5 points sur 11 ŕ mon premier Open du Championnat de France en 1975 ŕ Dijon

8čme de l’Open International de Noël rennes en 1975 avec 5/7 dont deux victoires contre le Vice Champion d’Espagne et le Champion de Paris d’alors.

10čme de l’Open du Championnat de France ŕ Saint-Jean de Monts en 1976 avec 8.5 / 11

6čme du Championnat de France Accession Classique au Touquet en 1977 avec 6.5 / 11

Période d’arręt

Ecoeuré par ce que j’ai expliqué, et par manque de solutions " club ", j’ai arręté le jeu d’échecs fin 1979 et pendant presque quatre ans.

Période N°2 : Un nouveau travail et de bons résultats dans une bonne ambiance

Revenu en Touraine aprčs ętre passé ŕ Paris puis Angers, je suis entré ŕ un nouveau club créé ŕ Tours en 1983, parmi des joueurs sincčrement intéressés par le jeu d’échecs. J’ai aussi mieux travaillé. Mes résultats ont changé de catégorie : Champion d’Indre et Loire 1984 avec 6 / 6, puis Champion de France " Accession Interdépartementale " en 1984 ŕ Alčs avec 10,5 points sur 11, et une performance ŕ 2440 Elo (FFE). En 1984, le club " Table Ronde " , trop petit, fermant, je suis passé au club sympathique d’AVOINE. En 1985 j’ai participé au " National " du Championnat de France ŕ Clermont Ferrand, réalisant +1 =8 -4, encourageant pour une premičre participation. En 1987 ŕ ROUEN ma 2čme place au championnat de France " Accession Classique " (Derričre Arnaud HAUCHARD qui devînt ensuite Maître International) m’a permis de remonter au " National " contre toute attente. Durant toutes ces années (Périodes 1 et 2), j’ai aussi obtenu plusieurs premiers prix de la premičre série (2000-2200) ou des places d’honneur dans pas mal d’Opens avec 5.5/7 ou 6.5/9 (Rouen, le Cap d’Agde, Badalona, Bagneux, …).

Période N°3 : Les Echecs noyés dans le reste de la vie

En 1987-88, j’ai suivi un stage de formation professionnelle ŕ Blois de 1 an capital, car c’était ma seule chance de trouver enfin un travail stable. Plus le temps pour les Echecs. Je termine avec un score affligeant : +0 =4 -9 au National cette année lŕ. Je suis ensuite tombé dans l’oubli pour les Echecs nationaux, englouti dans la vie professionnelle et familiale. J’ai opéré mon dernier sursaut en 1990 avec l’obtention d’un premier Elo Fide (2280).

Depuis je n’ai plus fait aucun résultat en vue pour un amateur au niveau national, et mon classement est dans la fourchette 2170-2240 depuis plus de dix ans, ce qui est aujourd’hui " l’anonymat ". Je joue encore avec plaisir. J’ai malgré tout obtenu une 17čme place (sur 300 joueurs) ŕ l’Open d’Avoine en 2004. Habitant la Vienne, je joue pour l’Echiquier Poitevin depuis une dizaine d’années.

 

Francis DELBOE : et en ce qui concerne les Echecs Rapides ?

 

Jean-Pierre ALET : j’ai peu participé ŕ des tournois de jeu rapide, mais plusieurs fois avec succčs : Dans les années 80, 2čme du semi rapide de Saumur avec 6.5 / 7 (environ 200 joueurs) et 3čme ŕ celui d’Amboise. Plus récemment, vainqueur du semi rapide de Poitiers avec 6 / 7 en 2003, devant plusieurs joueurs mieux classés.

 

Francis DELBOE : quel est ton style de jeu ?

 

Jean-Pierre ALET : je ne sais pas. Quand je lis ou j’entends qu’un joueur a un style " positionnel " et un autre un style " tactique ", etc. je ne comprends pas trčs bien. Comment serait-ce possible de bien jouer en n’utilisant qu’une portion des possibilités du jeu ? Par contre, je peux dire que j’affectionne la création, et que je suis particuličrement satisfait lorsque je trouve un plan actif dans un schéma que je découvre.

 

Francis DELBOE : de nos jours, on ne joue plus selon notre bonne vieille cadence 40 coups en 2 heures, puis 20 coups en une heure puis une heure au KO. Quelles en étaient les avantages ?

 

Jean-Pierre ALET : au début, dans les années 70, j’ai męme connu 40 coups en 2h30, puis 16 coups ŕ l’heure au finish ou avec ajournement éventuel. Les avantages de la durée sont :

  • Un épanouissement : une place plus grande ŕ l’observation, l’imagination et la construction de stratégies, plus qu’ŕ se limiter ŕ réciter du déjŕ vu. De plus les calculs et évaluations peuvent ętre plus profonds.
  • La satisfaction d’un meilleur niveau technique (celui constaté ŕ l’analyse)
  • Le meilleur niveau rehausse aussi la crédibilité des parties publiées dans les livres et journaux.
  • Une cohérence plus grande : l’effort conduit en début et milieu a le temps d’ętre mieux concrétisé, " récompensé " en finale.
  • Des résultats moins aléatoires.
  • Le temps de comprendre est également nécessaire aux spectateurs qui en ont envie.

 

Francis DELBOE : on joue de plus en plus vite aux échecs ! Est ce de nature ŕ porter atteinte ŕ l’art immuable des finales ?

 

Jean-Pierre ALET : ŕ vrai dire on joue de moins en moins, parce que l’on a moins de temps dans une partie. Le jeu n’est pas une succession de déplacements de pičces, mais l’exercice de toutes les composantes de l’intelligence qui se trouve en amont, inscrit dans le temps qui nous est accordé. Moins de temps, moins de jeu. Bien sűr, la phase finale a le plus souvent été la victime de cette évolution, mais l’essentiel va bien au de lŕ. La finale fait suite ŕ la phase de passage en finale, elle męme issue du milieu de partie, issu de l’ouverture, et donc c’est toute la logique des échecs qui s’en trouve atteinte. Avec les cadences développées depuis quinze ans, le souci du temps apparaît quelquefois avant męme les abords de la finale. On rejette certaines possibilités par manque de temps pour les peser. Le jeu est amputé. Pour bien comprendre, il faut se représenter le temps comme un espace contenant le jeu, lui-męme constitué des activités produites pendant ce temps. Le jeu est constitué de réflexion, imagination, calcul, adaptation, mémoire, etc., composantes de l’intelligence, dont certaines ont besoin de temps pour naître, se construire et finalement donner un résultat. Le raccourcissement oriente plus vers une activité de mémoire et de réflexe. Les résultats que l’on a observés dans les compétitions homme/machine le confirment : les humains font de meilleurs résultats dans les cadences lentes. Le jeu est ce que l’on fait dans le temps permis. Encore une fois, moins de temps, moins de jeu. Pour ces raisons, et parce que de plus, le temps peut ętre aussi une cause de perte ou de gain, LE TEMPS FAIT PARTIE DU JEU. En conséquence, si le temps est modifié, le jeu est modifié. UNE CADENCE DIFFERENTE, UN JEU DIFFERENT. Que dirait-on si, au football on réduisait le terrain ŕ 80 mčtres, ou si au tennis on raccourcissait le terrain d’un mčtre cinquante de chaque côté afin que les échanges soient plus rapides ? Il sauterait aux yeux que l’on ne pratiquerait plus la męme discipline, voire que les possibilités en seraient réduites. C’est pourtant ce que l’on a fait aux échecs, et c’est encore en cours.

 

Francis DELBOE : ce que tu expliques est choquant ! Comment cela est-il possible dans notre société de joueuses et de joueurs d’échecs ?

 

Jean-Pierre ALET : cela est possible sans se heurter ŕ une vive réaction des joueuses et joueurs parce que c’est fait petit ŕ petit. Partant de 40 coups en 2h30 et du jeu au finish en 16 coups ŕ l’heure, nous avons accepté 20 coups ŕ l’heure sans trop broncher vers 1980 je crois. Vers 1991, un grand virage a eu lieu : avec la suppression de la pratique de l’ajournement et du finish, on a accepté implicitement qu’une partie puisse ne pas se terminer correctement , c’est ŕ dire que celui qui a une position de gain ou de nulle n’ait pas toujours le temps de le réaliser. Cela a été un virage fondamental, une sorte de pli formé dans l’esprit des joueurs. La dérive incontrôlée est partie de cette époque car pour compenser ce virage fondamental, on a oublié de créer des objectifs de préservation de la qualité technique qui soient immuables. (Ce que j’appelle niveau technique est celui constaté ŕ l’analyse de la partie). En somme, l’ajournement a été abandonné certes pour des motifs louables (problčmes d’organisation et d’équité dans les ressources), mais au prix de l’amorce d’une pente dangereuse. Quand je regarde le chemin parcouru et que l’on nous propose aujourd’hui de jouer en 1h30 et 30 secondes par coup, je me fais la réflexion " ŕ quel prix ! ". Le pli pris, on a accepté que la partie se limite ŕ 8 heures, puis 7, puis 6, et ainsi de suite … Qui plus est, j’ai observé surtout dans les années 90 une sorte de " bourrage de crâne " opéré sur les média. On a cherché ŕ persuader les joueurs que l’évolution était inéluctable, et attiré l’attention sur des manifestations trčs primées de jeu rapide, bien mises en valeur dans les journaux.

 

Francis DELBOE : ce phénomčne te semble-t-il inéluctable ?

 

Jean-Pierre ALET : ŕ court terme, peut-ętre, mais dans la durée, non, et pour deux raisons principales :

  1. La transformation du jeu dans le mauvais sens est de plus en plus dénoncée et contestée. Je prends pour exemple l’interview de l’éminent grand-maître américain Yasser SEIRAWAN dans le numéro de Septembre 2006 de la revue Europe Echecs. Je cite quelques extraits de l’interview de ce fort Grand Maître, resté longtemps dans le " top 50 " mondial et rédacteur en chef d’une revue américaine pendant de nombreuses années :

- " Ils ont oublié que les Echecs sont aussi un art et une science. Les joueurs ont besoin de temps pour construire leurs plans et formuler leurs idées ".

  • " " Les Echecs corrects  " ou encore " les Echecs au charme suranné " ont été détruits ".
  • " On enlčve aux supporters la possibilité de voir jouer de belles finales. A la place, nous savons seulement qui a gagné et qui a perdu ".
  • " L’idée était que les télévisions voudraient se battre pour présenter ce nouveau jeu ŕ leurs spectateurs. C’est l’inverse qui s’est produit ".

Fin des citations. J’ai envoyé un courrier de remerciement ŕ la revue Europe Echecs pour avoir publié cette précieuse interview.

  1. A force de réduction, le jeu perd de son sens, non seulement pour les joueurs pour les raisons expliquées, mais aussi pour les spectateurs. Le temps d’une certaine compréhension peut ętre nécessaire pour que le spectateur soit attiré et ait finalement envie de pratiquer. Encore par comparaison avec le tennis ou le football, imaginez la réaction des spectateurs si les balles ou ballons se déplaçaient si rapidement qu’ils ne pourraient plus suivre ? Ne pensez vous pas que ces sports deviendraient moins " médiatiques " ? A force de non sens, ŕ la fin, le rideau tombera et il sera temps de passer ŕ une autre pičce. L’histoire ne suit pas une ligne droite. Le droit de faire des erreurs, et plus tard de les reconnaître puis de faire chemin arričre, si les hommes sont capables de le faire, leurs sociétés aussi. C’est humain.

 

Francis DELBOE : comment éviter d’en arriver ŕ l’extrémité que tu évoques ?

 

Jean-Pierre ALET : j’ai déjŕ agi dans ce sens ŕ mon niveau. Mais il faudrait que bien d’autres s’y mettent.

Pour prendre un " raccourci ", il suffit de considérer encore une fois que LE TEMPS FAIT PARTIE DU JEU donc UNE CADENCE DIFFERENTE constitue UN JEU DIFFERENT. Dčs lors, on s’oblige ŕ la conservation du jeu existant dont personne ne demande la disparition, ce qui n’empęche pas la création d’un autre. Personnellement, je n’ai jamais jeté la pierre au jeu " semi rapide ", pour y avoir d’ailleurs participé plusieurs fois avec succčs. Il en résultera alors une distinction de jeux différents, dont voici un exemple possible :

  • Une Cadence fixe pour les tournois ŕ une partie par jour dits d’ " ECHECS  "
  • Une Cadence fixe pour les tournois ŕ 2 parties par jour dits de " Jeu Accéléré "
  • Une Cadence fixe pour les tournois dans une journée ou week-end dits de " Jeu Rapide ".

Et naturellement distinction de classements et de titres différents. Il faut aussi sensibiliser les organisateurs ŕ l’influence du temps sur la qualité, de façon ŕ ce que les prix soient plus importants dans les tournois ŕ cadence plus lente. J’espčre que la publication de cette interview pourra y contribuer.

 

Francis DELBOE : on peut désormais obtenir une norme de MI en jouant selon une cadence qui, il y a encore quelques années, aurait fait sourire les techniciens du ELO. Penses-tu que cette tendance n’en est qu’ŕ ses débuts ?

 

Jean-Pierre ALET : elle n’en est déjŕ pas ŕ ses débuts puisque la cadence internationale a été accélérée de longue date. En fait dčs lors que l’on accepte que le jeu soit changé, ou que des jeux différents soient confondus, il est " mécanique " que les titres de valeurs comme Maître International, Grand-Maître, etc. soient victimes du męme amalgame. Par rapport ŕ ta question, l’essentiel n’est pas dans le titre, mais dans le jeu. L’émulation peut exister quel que soit le jeu, mais il faut reconnaître ŕ des jeux différents leur différence, et que l’émulation n’est pas la seule chose qui intéresse les joueurs ou męme les spectateurs : que l’on donne au jeu d’Echecs le temps qu’il mérite ŕ la mesure de sa complexité. Aux joueuses et joueurs pour le pratiquer pleinement, au spectateur pour tenter de le comprendre, et éventuellement l’admirer. Je ne crois pas que l’on choisisse et que l’on persévčre ŕ jouer au jeu d’Echecs uniquement pour l’émulation qui y existe ou pour sa présentation matérielle. Si l’affection pour un jeu ou un sport se résumait ŕ l’émulation, alors pourquoi choisir l’un plutôt qu’un autre ? C’est une question de sens.

 

Francis DELBOE : tu es connu pour ętre l’auteur d’un brillant mémorandum portant sur ce sujet. Est-il disponible sur la Toile ?

 

Jean-Pierre ALET : merci pour " brillant ". Je pense qu’il est surtout courageux, car ŕ l’époque oů j’ai commencé ce travail, beaucoup m’ont dit que c’était le combat du pot de terre contre le pot de fer. Il est aussi bien perfectible. Sur internet, une sorte d’éditorial est disponible, pour la version de 1997. Si tu tapes " Plaidoyer Permanent pour une Cadence Convenable ", ou mon nom, sur un moteur de recherche internet, tu peux trouver une sorte d’éditorial de présentation car il a déjŕ été publié sur un site. Dans sa totalité, il n’est pas disponible car constitué d’éléments de formats différents (Traitement de Texte, Tableur, Gestion d’Image). Je ne suis pas encore certain qu’il faille qu’il soit accessible sur la " toile ". C’est une question de stratégie de diffusion que je n’ai pas encore décidée. Il n’en est de toute façon pas question maintenant, car je compte en sortir une autre version en 2007 ou 2008. Mon projet est cette fois plus ambitieux : je compte le faire traduire et le diffuser plus largement, solliciter l’insertion du point de vue d’un GM éminent, et d’un organisateur. Mon succčs dépendra du temps et des aides.

Bénévole, mon idée est de dénoncer les non sens et autres méfaits de la dérive des cadences, et de fournir des arguments ŕ ceux qui en voudraient, de façon qu’ils les utilisent devant ceux qui décident. Comme avant, le PPCC sera copiable et diffusable par quiconque, pourvu que cela soit dans son intégralité.

 

Francis DELBOE : que penses-tu de l’avčnement des cadences Fischer ?

 

Jean-Pierre ALET : c’est l’arbre intéressant, mais qui cache la foręt. L’intéręt principal du principe " cadence Fischer " est que cela permet de rendre obligatoire la notation des coups, ce qui évite des situations pénibles voire inextricables aux arbitres. La répartition plus réguličre de la réflexion est un avantage de deuxičme niveau. D’ailleurs la préférence des joueurs est partagée. Les cadences Fischer sont un aménagement, certes intéressant, mais cela n’empęche pas le temps imparti de diminuer. Exemple : la derničre cadence Fisher établie par la FIDE : 1h30 + 30 secondes par coup pour toute la partie, est un raccourcissement car les 2 heures ne sont męme plus allouées pour 40 coups.

L’essentiel : que les cadences soient classiques ou " Fischer ", on a observé de toute façon des raccourcissement décidés unilatéralement. A partir du moment oů vers 1990, avec les cadences avec finish au KO, les joueurs ont accepté que des parties puissent ne pas se terminer correctement (un nombre de coups indéterminé dans un temps déterminé), le pli a été pris, puis on l’a accentué " subrepticement ", petit ŕ petit et on pourra faire la męme chose, et peut-ętre męme avec plus de facilité avec les cadences Fischer. (voir 3- ci-aprčs). Je ne saurais dire si les cadences Fischer sont en elles męmes bénéfiques pour la pratique des Echecs de bon niveau technique. J’y vois du pour et du contre. Dans une cadence Fischer, on devrait normalement voir moins de fautes directes, car le joueur dispose d’un temps minimum pour chaque coup. Elles ont l’avantage de permettre un nombre illimité de coups, disons avec un niveau " minimum " en finale. Par contre, elles sont actuellement attaquables sur trois points :

  1. les 30 secondes par coup que l’on a généralement sont amputés par la nécessité de noter les coups. Le temps pris pour quitter la vision de l’échiquier, noter son coup, puis reprendre la vision du jeu n’est pas neutre. Disons qu’il reste environ 25 secondes.
  2. Le temps restant est insuffisant, męme en finale. A mon niveau, c’est jouable dans le cas de finales simples, mais pas dans le cas de finales complexes.
  3. Plus subtil, les cadences Fischer contiennent l’ingrédient d’un nouveau danger : Etant donné que ces cadences donnent un temps aprčs chaque coup joué, elles peuvent " en théorie " permettre la finition de toutes les parties (bien que le temps conditionne le niveau), mais en conséquence elles pourront donner lieu ŕ des parties que l’on pourra dans des cas rares, juger trop longues. Selon le (mauvais) principe, hélas déjŕ appliqué, " pour éliminer un cas gęnant qui arrive rarement, on établit une rčgle qui résout le cas en question mais qui abaisse la qualité dans un nombre de cas beaucoup plus élevé ", il y a fort ŕ parier que les partisans de l’accélération du jeu saisiront les occasions qui vont survenir. Une partie ŕ " 1h40 + 30 s par coup puis 40 minutes puis 30 secondes par coup puis 10 minutes et 30 s par coup " aura donné lieu ŕ une partie trop longue, donc on enlčvera les dix minutes ŕ la fin. Puis un nouveau cas, et ainsi de suite.

Je me rappelle avoir lu que Robert James Fischer qui est l’inventeur de ce systčme qui part d’un bon principe, avait proposé ŕ l’origine : 1 Heure puis 2 minutes par coup jusqu’ŕ la fin. Est-ce exact ? Si oui, on en est loin.

On pourrait męme en dire que le terme de " cadence Fischer " est usurpé aujourd’hui.

Mais Fischer, champion du monde génial est hélas hors d’état de faire valoir son droit lŕ dessus depuis son passage hors la loi dont les média se sont fait écho. En résumé : En préalable ŕ l’établissement de toute cadence, il faut qu’instances dirigeantes, organisateurs et arbitres soient bien sensibilisés au fait que le temps augmente la qualité du jeu, et que cela va dans le sens du jeu d’Echecs, et aussi que le Temps fait partie du Jeu / Une Cadence différente, un jeu différent. Ce n’est pas le cas depuis de nombreuses années, sinon ce sujet ne serait pas en discussion dans l’actualité. Lorsque ce sera bien établi, la dérive des cadences s’arrętera et męme se réparera par un retour en arričre.

 

Francis DELBOE : quelle cadence proposes tu concrčtement ?

 

Jean-Pierre ALET : je ne saurais définir la " cadence juste " ŕ moi tout seul. Je ne fais que plaider pour des principes. Il faut consulter les joueurs, pas seulement les meilleurs, et ceux qui participent ŕ l’organisation. Avant d’opérer toute consultation, il sera nécessaire que tous les consultés aient connaissance de l’historique des cadences, et du phénomčne de raccourcissement sans consultation qui a été opéré depuis 40 ans, afin de s’exprimer en connaissance de cause. Le " Plaidoyer " dont la diffusion est planifiée pour 2007 / 2008 contiendra probablement une proposition concrčte. Pour l’instant je donne seulement les axes principaux dans l’état de ma réflexion en ce qui concerne les parties de tournoi ŕ une ronde par jour :

  1. Les 40 coups en 2 heures sont un minimum incompressible.
  2. Ensuite, maximiser le niveau technique pendant le plus grand nombre de coups possibles tout en tenant compte des contraintes d’organisation.
  3. Si on ne tolčre pas l’ajournement, alors il faut pouvoir accorder le maximum de temps aux parties qui le réclament, ŕ l’intérieur d’une journée.
  4. Humaniser les parties longues par l’institution d’une pause contrôlée, de façon ŕ ce qu’une session de jeu ne puisse excéder 6 heures.
  5. Il vaut mieux consentir ŕ de rares cas insatisfaisants que résoudre ces cas tout en abaissant le niveau d’ensemble.
  6. Consentir ŕ ce que pour certaines rares parties qui ne puissent continuées, et dont l’un des joueurs réclame le gain, on recoure au jugement d’un arbitre ou si l’arbitre se déclare incompétent, d’une commission, et męme si cela doit parfois donner lieu ŕ un jugement contesté.
  7. Lorsque la limite de temps permise par l’organisation est atteinte, la possibilité de réclamer le gain doit pouvoir exister męme pour le joueur qui dispose du moins de temps, ŕ condition bien sűr qu’il ait respecté la cadence incompressible de 20 coups ŕ l’heure. Cela correspond ŕ la récompense de l’effort fourni pour obtenir une position gagnante.
  8. Afin de ne pas encourager l’allongement inutile des parties, l’autorisation de parties longues ou l’utilisation des cadences dites " Fischer " ne doit absolument pas empęcher de pouvoir déclarer une partie nulle lorsqu’un joueur de mauvaise foi continue comme le spécifie l’article 10 autrement que " par des moyens normaux " ce qui signifie dans le sens d’un gain technique, par des coups contribuant effectivement ŕ améliorer sa position, et indépendamment de toute considération de temps.

 

Francis DELBOE : que nommes-tu la pause contrôlée ?

 

Jean-Pierre ALET : aprčs 6 heures de jeu et 60 coups, quelques parties ne sont pas terminées. Je suis en train de faire des recherches sur les proportions et j’espčre pouvoir bientôt ętre plus précis. Il semble que pour un open unique cela fasse en général moins de 5% des parties, mais plus lorsque les adversaires sont de force voisine. Dans les tournois fermés de haut niveau, cela peut dépasser 10 %. Dans tous ces cas, le nombre de joueurs concernés doit ętre maîtrisable. L’arbitre annonce que chaque joueur au trait doit arręter la pendule. Les joueurs se lčvent et sont emmenés par l’arbitre dans un coin de la salle ou un local de restauration, avec des sandwiches et des boissons, les joueurs ayant pu amener des ‘en-cas’ personnels. A la fin de la pause détente et restauration dont le temps est déterminé par le rčglement, l’arbitre remmčne les joueurs dans l’aire de jeu et le jeu reprend.

Nul doute qu’il y aurait des problčmes techniques ŕ régler, et que les rčglements évolueraient en fonction de l’expérience. Mais pour augmenter le niveau et l’agrément de jeu, cela ne vaut-il pas la peine d’essayer ?

 

Francis DELBOE : que peux-tu encore ajouter sur ce sujet ?

 

Jean-Pierre ALET : au niveau de la philosophie, insister sur deux points ŕ tous ceux qui ont un pouvoir de décision et qui liront ces lignes :

- Avant de faire évoluer un état de rčglement qui comprend certains points qui certes, posent problčme, se demander si le mal existant n’est pas " un mal nécessaire " pour sauvegarder un " bien essentiel ", de façon ŕ ne pas supprimer le mal en créant le pire. Notamment ne pas résoudre un inconvénient qui a lieu rarement par une mesure qui abaisse le niveau d’ensemble.

- Les Echecs ont une dimension sportive indéniable, mais n’oubliez pas qu’ils sont aussi, comme le rappelle Yasser SEIRAWAN, un Art et une Science.

Merci Francis pour m’avoir permis de m’exprimer, sur ce sujet dont j’espčre qu’il paraîtra essentiel aux lecteurs.

© Progerix